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Découvrez Complice, notre nouvelle newsletter d’un monde désirable

Tous les 3 mois, “Complice", la nouvelle newsletter de Patte Blanche, arrive dans vos boîtes mail pour proposer nos analyses et points de vue sur la transition. Avec vous, nous explorons des pistes de réflexion pour être complices d’un monde désirable, pour l’ensemble des êtres vivants.

Pour ce 1er numéro, on s’attaque à un gros morceau : le renoncement.

Dans un monde qui craque de toutes parts, renoncer pourrait être une des clés pour revenir à un fonctionnement soutenable. Entreprises, individus, société… sommes-nous vraiment prêts à repenser nos modèles ?

Dans cette newsletter, on s’intéresse aussi à la polémique en cours au SBTi, aux choix électoraux des victimes d’inondations dans le nord, mais aussi à l’effet rebond de l’IA chez Microsoft. Et ne manquez pas les actus de l’agence à la fin de notre newsletter !

Allez, c’est parti !

📚 Renoncer = sacrifier ?

Le renoncement, c’est l’action d’abandonner quelque chose, de s’en dessaisir, ou le fait de ne plus envisager de faire quelque chose. C’est un processus qui implique d’avoir mis dans la balance ce à quoi on tient, ce dont on peut se passer, un calcul « bénéfique vs néfaste », pour acter la décision de prendre une autre direction. Jusque là, rien de nouveau sous le soleil.

Mais si on lui donne a priori un sens péjoratif, il peut aussi revêtir des acceptions positives. Ainsi, « renoncer » vient du latin renuntiare, qui veut dire « annoncer en retour ». On peut donc y lire une réaffirmation de nos valeurs profondes, un retour vers l’essentiel à préserver.

Le renoncement est une des briques essentielles à l’essor d’activités génératrices de valeur sociale et écologique. Alexandre Monnin, philosophe et enseignant-chercheur en redirection écologique souligne ainsi dans une interview pour Le Monde que « compte tenu du réchauffement climatique, le renoncement n’est plus un repoussoir ». À long terme, c’est alors l’inverse du sacrifice.

Nous sommes donc convaincus de la valeur du renoncement, qui ouvre la voie vers de nouveaux imaginaires et actions ambitieuses pour accélérer les transitions.

🏢 Renoncer pour progresser : une nouvelle voie pour les entreprises

Pour commencer, on constate que certaines entreprises choisissent d’aller au-delà d’une politique de réduction d’impact en remettant en question leur modèle d’affaires, et même parfois en renonçant à un pan de leur activité.

Quand des moines montrent la voie

Les moines produisant la célèbre liqueur Chartreuse ont décidé de cesser d’augmenter leur production, alors même que leur produit est de plus en plus demandé par les consommateurs, surtout aux Etats-Unis.

Dom Dysmas de Lassus, prieur général de l’Ordre des Chartreux, résume leur décision simplement : « La croissance infinie n’est plus possible ».

Après ce virage stratégique, Emmanuel Delafon, PDG de Chartreuse Diffusion, explique dans Le Dauphiné que les moines ont décidé d’aligner leur activité sur les limites planétaires, se (re)tournant vers les savoir-faire historiques de l’Ordre Chartreux : la botanique, l’herboristerie et la phytothérapie.

cave

Mustela : renoncer pour accélérer sa transition

La marque d’hygiène pour les familles a annoncé cesser la commercialisation de ses lingettes jetables d’ici 2027. Un vrai renoncement puisque ce produit représente à lui seul 20 % du chiffre d’affaires de la marque. Sophie Robert-Velut, DG des Laboratoires Expanscience, explique pourquoi la marque s’aligne avec sa mission et ses valeurs :

« Quand on s’adresse à des enfants qui viennent de naître, on doit avoir une activité qui doit être compatible avec leur futur. »

Bien-sûr, la marque ne se « sacrifie » pas. Elle réimagine son avenir en pivotant vers des produits à plus forte valeur ajoutée, délaissant la quête incessante de croissance en volume. Une manière aussi d’anticiper l’évolution de la législation, avec l’interdiction programmée de ces produits à usage unique (loi AGEC).

Au-delà de Mustela, d’autres entreprises comme la Camif (qui renonce à l’importation hors Europe), Brussels Beer Project (qui à l’inverse renonce à l’exportation hors Europe) ou même Nexans (qui renonce à la croissance en volumes) ont transformé positivement leur modèle.

Les bénéfices pour une entreprise vont bien au-delà de la simple résilience de son modèle économique en renforçant l’engagement de ses équipes, en améliorant son image de marque ou en développant son attractivité et sa notoriété.

Alors, dans votre entreprise, seriez-vous prêts à renoncer ?

📉 La décroissance, étape finale du renoncement ?

La décroissance est teintée d’une connotation si négative qu’elle a le pouvoir de neutraliser tout débat. Pour explorer d’autres imaginaires, de nouveaux concepts émergent comme la « redirection écologique » (esquissée plus haut), promue par Alexandre Monnin philosophe et enseignant-chercheur à l’ESC Clermont Business School et auteur de « Politiser le renoncement ».

En complément de la notion de commun d’Elinor Ostrom, Alexandre Monnin insiste sur la nécessité d’apprendre à gérer demain, les « communs négatifs » liés aux conséquences des activités humaines (une rivière polluée, des infrastructures en déshérence, des déchets industriels…).

La redirection écologique appelle ainsi à une pédagogie du renoncement par l’émergence de savoirs, savoir-faire et institutions qui permettront de décider démocratiquement de ralentir ou arrêter les secteurs les plus préjudiciables à l’environnement, pour laisser place à la croissance d’activités génératrices de valeur sociale et écologique.

Si nous sommes habitués à régler les problèmes par addition (via l’innovation notamment), nous devons apprendre à repenser nos enjeux avec une logique de soustraction en vue de maintenir les conditions d’habitabilité de la Terre.

Pour aller au-delà des raccourcis et des idées reçues, le cabinet Prophil a publié une longue étude « Entreprise & post-croissance – Réinitialiser nos modèles économiques, comptables et de gouvernance » en collaboration avec HEC, Audencia et Lumia. Une invitation à un voyage exploratoire dans le « monde de l’après croissance », où théorie, expérimentations, témoignages et interviews affrontent la question, sans détour.

🗻 Patagonia : l’audace de dire “n’achetez pas”

Patagonia est LA marque qui a su magistralement retourner les codes de la publicité en défiant la logique consumériste, incitant à un renoncement réfléchi et positif.

En 2011, en pleine frénésie du Black Friday, Patagonia réalise un coup d’éclat en publiant une pleine page dans le New York Times titrée : « Don’t Buy This Jacket ». La marque californienne prenait tout le monde à contre-pied en invitant les consommateurs à n’acheter qu’en cas de réel besoin. C’était sans doute alors une des premières campagnes de communication anticonsumériste.

visuel patagonia

Treize ans après, il est toujours difficile de prendre la parole pour appeler à plus de sobriété. On pense à la campagne de l’Ademe « Les Dévendeurs » et aux débats qui ont suivi sa diffusion en novembre dernier.

Il y a quelques semaines, Patagonia réaffirmait son engagement, toujours dans le New York Times, en déclarant « Fashion is none of our business ». Une prise de position accompagnée du lancement du documentaire « The Shitthropocene », qui critique l’ère de la surconsommation et de la fast fashion.

Malgré tout, Patagonia reste une marque florissante qui a multiplié son chiffre d’affaires par 4 au cours de la dernière décennie. Dès lors, comment concilier un discours anticonsumériste avec la réalité économique d’une entreprise en pleine croissance, devenue une marque de mode malgré elle ?

Après avoir incité ses clients à ne pas acheter ses produits, et cédé l’entreprise à la planète, Patagonia sera-t-elle prête demain à renoncer elle aussi à produire toujours plus ?

 

👫 Enquête Sobriété de l’Ademe : l’enfer c’est les autres ?

La première édition du baromètre « Sobriété et Modes de Vie » de l’Ademe (mars 2024) regorge d’enseignements pour mieux comprendre les pratiques et représentations des Français en matière de sobriété. Quelques enseignements à en tirer selon nous :

→ Enseignement n°1 : 82 % des Français considèrent avoir un mode de vie “sobre” et se sentent relativement peu concernés par les pratiques excessives qu’ils perçoivent dans le reste de la population. Seule une part très minoritaire juge ses propres pratiques excessives. 83 % des personnes interrogées considèrent que « aujourd’hui, en France, les gens consomment trop ». Mais seules 28 % considèrent que cette remarque s’applique à leurs propres habitudes, quand 73 % estiment même qu’elles consomment moins que la moyenne nationale.

→ Enseignement n°2 : Si les Français aspirent à un changement de modèle, une réticence s’observe toutefois vis-à-vis de certaines pratiques : l’usage de la voiture, la consommation de viande et le recours au transport aérien. Or, ces trois postes figurent parmi les « poids lourds » du bilan carbone individuel en France… Alors à quoi les Français sont-ils prêts à renoncer ? Les sondés estiment qu’ils pourraient se passer principalement d’un modèle de téléphone de moins de deux ans, de nouveaux vêtements à chaque saison, de faire du shopping plusieurs fois par mois ou se faire livrer en moins de 24h des achats sur internet.

→ Enseignement n°3 : Contrairement à un imaginaire faisant des jeunes la génération la plus sensible à ces enjeux, l’étude conclut “qu’ils semblent, davantage que leurs ainés, attirés par certaines pratiques plus récentes, parfois plus consuméristes ou plus emblématiques en matière d’impact environnemental”.

→ Enseignement n°4 : Le sentiment de “faire sa part” est bien présent. Interrogés sur les responsabilités en matière de consommation, 77 % des sondés jugent que « les citoyens font leur part ». En revanche, moins d’un Français sur deux (49 %) juge que l’État agit en faveur de l’environnement. Même avis sur les entreprises : 44 % des sondés pensent qu’elles n’agissent pas du tout. Et revoilà donc le triangle de l’inaction, théorisé par Pierre Peyretou, qui décrit une situation de blocage collectif où chacun pointe du doigt les responsabilités des autres.

🎸 Culture & sport : allier passion et responsabilité

L’analogie entre sport et musique peut paraitre surprenante… mais les défis que ces secteurs soulèvent sont étonnamment similaires : comment concilier passion et respect de l’environnement ? Faut-il renoncer à certains événements majeurs ? Et nous, spectateurs, sommes-nous prêts à repenser notre rapport au spectacle ?

Renoncer pour ses convictions : des athlètes et artistes pionniers

Dans le monde du sport outdoor, la prise de conscience écologique s’intensifie et certains athlètes font des choix radicaux pour un avenir plus durable. Xavier Thévenard, star de l’ultra-trail, trois fois vainqueur de l’UTMB, a ainsi banni l’avion pour réduire son empreinte carbone.

« En prenant l’avion, j’ai compris que je participais à la destruction d’un environnement qui me procurait du plaisir. Ça ne pouvait plus durer. »

De son côté, la surfeuse Ainhoa Leiceaga, a renoncé aux épreuves en outre-mer, au prix de ses chances de qualification pour des compétitions importantes.

Dès lors la question de l’accessibilité à ces choix se pose : ceux qui ont déjà acquis une certaine notoriété, ne sont-ils pas plus à même de faire des choix radicaux sans mettre en péril leur carrière ?

« J’ai l’impression qu’on en parle de plus en plus, mais ça reste difficile pour nous, sportifs. Certains galèrent à vivre et c’est dur de sacrifier une performance pour laquelle on s’entraîne toute l’année dans le but de réduire son impact. »

Comme chez les athlètes, la mobilisation côté culture s’amplifie.

L’évolution de l’industrie musicale a rendu les musiciens dépendants des tournées pour générer des revenus. Artistes et public en déplacement, matériel transporté, éclairages, produits dérivés… le coût environnemental du spectacle vivant est, au même titre que les grandes compétitions sportives, très lourd.

Le groupe Shaka Ponk a créé le collectif « The Freaks », réunissant des artistes et personnalités qui s’engagent à adopter de nouveaux comportements. Il est même allé plus loin en annonçant mettre fin à ses concerts à l’issue de leur tournée actuelle pour se concentrer sur l’exploration des ponts entre engagement écologique et musique.

Le chorégraphe Jérôme Bel, en renonçant à prendre l’avion, a de son côté inventé un nouveau mode de diffusion de ses œuvres : il filme ses répétitions et transmet les fichiers à des metteurs en scène étrangers qui recréent alors son œuvre avec des danseurs locaux.

Une remise en question qui ouvre aussi la porte à l’innovation et à la créativité

Si ces exemples démontrent la prise de conscience croissante, ils restent encore marginaux, et l’engagement individuel, bien qu’utile, ne suffit pas.

Des initiatives prometteuses émergent pour inventer de nouvelles formes de rencontres entre les œuvres, les artistes, les sportifs et leurs publics.

Ainsi, The Shift Project propose une analyse complète de l’impact environnemental du secteur culturel en France, assortie de solutions concrètes pour sa décarbonation. Leur rapport « Décarbonons la Culture ! » offre un cadre précieux pour repenser le modèle actuel, et propose cinq grandes dynamiques de transformation : relocaliser les activités, ralentir (le rythme des tournées notamment), diminuer les échelles (surtout les jauges, pour re-localiser), éco-concevoir… et renoncer !

Si certains acteurs sont prêts à faire ce pas, sommes-nous en tant que spectateurs prêts à suivre ?

Autant de questions, défis et introspection que soulève ce vaste sujet… Et parce que « choisir, c’est renoncer », on décide d’arrêter ici nos réflexions. 🙃